Une découverte majeure apporte de nouveaux éclairages à notre compréhension de la maladie de Parkinson. Publiée dans la revue Nature Communications en novembre 2022, une vaste étude américaine révèle un déséquilibre profond du microbiote intestinal chez les personnes atteintes de cette maladie neurodégénérative. Des résultats qui pourraient ouvrir la voie à de nouvelles pistes de prévention et de traitement.
Après avoir longtemps cherché l’origine de Parkinson uniquement dans le cerveau, il apparaît que l’intestin, un organe inattendu dans la recherche des causes de Parkinson, pourrait jouer un rôle plus important qu’on ne le pense sur cette pathologie neurodégénérative. Cette découverte, bien que récemment mise à jour, n’est pas complètement nouvelle. Elle a en effet été énoncée en 2003 par le médecin allemand Heiko Braak, émettant l’hypothèse que Parkinson pourrait être causée par un pathogène inconnu qui passerait de l’appareil digestif vers le cerveau à travers le nerf vague, ce fil conducteur qui connecte l’encéphale et le système digestif.
L’hypothèse intestinale se confirme année après année
En 2017, des chercheurs suédois avaient déjà renforcé cette hypothèse intestinale en montrant que les personnes ayant subi l’ablation chirurgicale du nerf vague avaient moins de risque de développer la maladie de Parkinson, une preuve concrète de l’implication de cette connexion entre le cerveau et les intestins, pour au moins une partie des cas de la maladie.
On notera par ailleurs que les problèmes digestifs, notamment la constipation et l’inflammation, sont étroitement liés à cette affection et peuvent même apparaître des années avant le diagnostic. En effet, parmi les symptômes de la maladie de Parkinson, les troubles digestifs font partie des signes précurseurs de la maladie, souvent négligés, bien avant l’apparition des troubles moteurs caractéristiques.
Un déséquilibre massif du microbiote intestinal
L’étude la plus vaste menée sur le sujet vient d’apporter un nouvel argument de poids. Dirigée par le professeur Haydeh Payami de l’Université de l’Alabama, cette recherche a analysé le microbiote intestinal de 490 personnes atteintes de Parkinson et de 230 témoins en bonne santé, pour la plupart, les époux ou épouses des personnes malades et donc vivant au sein du même environnement. Les résultats ont été particulièrement marquants : plus de 30 % des espèces bactériennes, gènes et voies de signalisation analysés présentaient des anomalies chez les malades.
Sur les 257 espèces de micro-organismes étudiés, 84, soit plus d’un tiers, sont associées à la maladie de Parkinson. Parmi elles, 55 présentent une abondance anormalement élevée chez les personnes malades, tandis que 29 sont en plus faible quantité. Les chercheurs parlent d’un « déséquilibre généralisé » qui témoigne d’un microbiote devenu « permissif à la maladie ».
Les variations observées sont très significatives. Certaines bactéries voient leur présence multipliée par sept, comme Bifidobacterium dentium, ou par six pour Streptococcus mutans et Actinomyces oris. À l’inverse, Roseburia intestinalis est réduite de 7,5 fois et Blautia wexlerae de 5 fois. Au total, 36 % des espèces associées à Parkinson présentent des variations supérieures au double, reflétant des augmentations ou des diminutions de 100 % à 750 %.
Des bactéries pathogènes en surreprésentation
Ce qui inquiète particulièrement les chercheurs, c’est la nature des bactéries surreprésentées. Le microbiote des personnes atteintes de Parkinson présente une surabondance de pathogènes opportunistes et de composants immunogènes, c’est-à-dire capables de déclencher une réponse inflammatoire. Cette composition bactérienne favorise un état d’inflammation chronique de l’intestin.
L’analyse des gènes bactériens révèle que le microbiote des personnes atteintes de Parkinson exprime moins de gènes nécessaires à la digestion des glucides complexes, mais davantage de gènes liés à la dégradation des protéines et des acides aminés. Cette préférence pour la consommation de protéines, dont celles des mucines qui protègent la muqueuse intestinale, pourrait entraîner un affaiblissement de la barrière intestinale.
Une barrière intestinale fragilisée favoriserait le passage de molécules ou de pathogènes vers le nerf vague, puis potentiellement vers le cerveau, contribuant à l’apparition ou à l’aggravation de la maladie. Un mécanisme qui pourrait expliquer comment l’intestin pourrait déclencher la cascade pathologique caractéristique de Parkinson.
Un lien étroit avec la carence en dopamine
Un autre aspect crucial est mis en lumière par l’étude, celui de la synthèse des neurotransmetteurs comme la dopamine, dont le dysfonctionnement est caractéristique de la maladie de Parkinson. En effet, les gènes du microbiote des malades favorisent l’utilisation de la tyrosine, un acide aminé essentiel à la production de dopamine, tandis que la synthèse d’autres acides aminés est réduite.
Ce détournement de la tyrosine par les bactéries intestinales pourrait ainsi priver le cerveau d’un élément fondamental pour produire la dopamine. Rappelons que Parkinson se caractérise par la disparition progressive des neurones dopaminergiques chargés de produire la dopamine, un neurotransmetteur essentiel au contrôle des mouvements. Le lien entre microbiote et déficit en dopamine ouvre ainsi une piste de recherche essentielle à une meilleure compréhension de Parkinson et de ses causes.
Des bactéries bénéfiques qui manquent cruellement
À l’opposé, le microbiote des personnes atteintes de Parkinson présente une carence marquée en bactéries productrices d’acides gras à chaîne courte. Ces molécules, notamment le butyrate, jouent un rôle protecteur essentiel pour la santé intestinale et cérébrale. Roseburia, Eubacterium, Ruminococcus et Faecalibacterium prausnitzii, toutes connues pour produire ces acides gras bénéfiques, sont significativement réduites chez les malades.
Cette faible représentation en bactéries productrices de butyrate apparaît dès les stades très précoces de la maladie, avant même l’apparition des symptômes moteurs. En effet, une étude publiée dans Nature Communications en 2023 a révélé que ce déséquilibre du microbiote se manifeste bien avant les symptômes moteurs de Parkinson. On le retrouve déjà chez les personnes qui vivent leurs rêves de manière agitée pendant leur sommeil (en parlant, criant ou gesticulant), un trouble considéré comme un signal d’alarme précoce de la maladie.
Le rôle pro-inflammatoire de certaines bactéries
Parmi les bactéries présentes en plus grande quantité chez les patients parkinsoniens, Collinsella retient particulièrement l’attention. Cette bactérie pro-inflammatoire a déjà émergé dans le trouble du comportement en sommeil paradoxal. Son enrichissement précoce suggère qu’elle pourrait jouer un rôle dans le déclenchement ou l’accélération du processus pathologique.
Plus récemment, en 2024, des chercheurs ont mis en évidence le rôle particulier du “Streptococcus mutans”, une bactérie de la cavité buccale surreprésentée dans le microbiote intestinal des patients parkinsoniens, qui produit une molécule capable d’atteindre le cerveau et de déclencher une pathologie de type Parkinson chez la souris, suggérant un lien causal direct entre certaines bactéries intestinales et la maladie.
Un axe intestin-cerveau à double sens
Si l’on pensait jusqu’ici que la communication se faisait principalement de l’intestin vers le cerveau, plusieurs études révèlent un mécanisme à double sens. Des chercheurs ont montré en effet que dans un modèle murin de Parkinson, l’alpha-synucléine, cette protéine qui s’agrège anormalement dans le cerveau des patients, peut être transportée du cerveau vers l’intestin par des cellules immunitaires spécifiques.
Ce trafic cerveau-intestin pourrait expliquer pourquoi l’inflammation intestinale apparaît chez les patients parkinsoniens. Le cerveau malade enverrait en quelque sorte des signaux pathologiques vers l’intestin, créant un cercle vicieux d’inflammation qui renforce la maladie.
Des pistes thérapeutiques prometteuses
Cette compréhension nouvelle du rôle du microbiote ouvre des perspectives thérapeutiques inédites. Si les troubles digestifs précèdent souvent de plusieurs années le diagnostic de Parkinson, comme la constipation et l’inflammation intestinale, ils pourraient servir de signaux d’alerte précoces. La modification du microbiote pourrait donc devenir un axe majeur pour retarder ou limiter l’apparition de la maladie.
Des chercheurs se sont penchés sur cette piste en administrant des fibres prébiotiques à des patients parkinsoniens nouvellement diagnostiqués, certains sous traitement et d’autres non traités. Cette administration de seulement dix jours s’est révélée bien tolérée et sûre. Plus encourageant encore, elle a été associée à des changements biologiques bénéfiques : modification favorable du microbiote, augmentation de la production d’acides gras à chaîne courte, diminution de l’inflammation et réduction d’un marqueur de neurodégénérescence (neurofilament light chain).
Ces résultats, bien que préliminaires, suggèrent que des interventions ciblées sur le microbiote pourraient avoir des effets neuroprotecteurs. D’autres stratégies sont à l’étude comme la transplantation de microbiote fécal, l’utilisation de probiotiques ciblés, ou encore le développement de prébiotiques spécifiques pour favoriser les bactéries bénéfiques.
Une révolution dans la compréhension des causes de Parkinson
Si les causes exactes de Parkinson restent inconnues à ce jour, les avancées de la recherche ont permis de montrer qu’il s’agit d’un ensemble de facteurs combinés qui interagissent de manière complexe. Le microbiote intestinal pourrait bien être l’un de ces facteurs clés, voire le déclencheur dans certains cas.
Cette hypothèse intestinale se renforce au fil des recherches, mettant en lumière le rôle central du microbiote dans la santé cérébrale. Le professeur Payami souligne l’importance de cette découverte : « L’objectif principal de cette étude était de générer une vue complète et non altérée du déséquilibre du microbiote intestinal dans la maladie de Parkinson. Le métagénome de Parkinson indique un microbiome favorisant la maladie. »
L’étude révèle que le microbiote des patients parkinsoniens forme des clusters polymicrobiens, c’est-à-dire des groupes de bactéries qui croissent ou diminuent ensemble, et certaines entrent en compétition. Cette organisation complexe suggère que le microbiote fonctionne comme un écosystème dont l’équilibre est rompu dans la maladie.
Deuxième maladie neurodégénérative la plus fréquente après Alzheimer, la maladie de Parkinson représente un enjeu de santé publique majeur. Son origine reste mal comprise, résultant probablement d’une interaction entre susceptibilité génétique et facteurs environnementaux. Dans moins de 15 % des cas, la maladie est d’origine génétique, ce qui signifie que pour l’immense majorité des patients, les facteurs environnementaux jouent un rôle déterminant. Le microbiote intestinal, fortement influencé par l’alimentation, le stress, les antibiotiques et d’autres facteurs de mode de vie, pourrait être l’un de ces facteurs environnementaux modulables. Une découverte qui ouvre la voie à des stratégies de prévention basées sur l’hygiène de vie et l’alimentation, deux pistes à nouveau mises en exergue dans une problématique de santé majeure.
Sources : Nature Communications, 2022 / Sciences et Avenir, 2023





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