Sophie B.
Au 1er janvier 2024, la France compte près de 14,7 millions de personnes de 65 ans et plus, soit 22 % de la population. Ce vieillissement massif s’accompagne d’une transformation profonde : les seniors d’aujourd’hui ne ressemblent plus à ceux d’hier. Plus autonomes, plus exigeants, ils bouleversent les codes de l’hébergement et du logement adapté. Pour décrypter ces mutations, nous avons interrogé Charles Memoune, fondateur du réseau Bridge, figure majeure du secteur.
Les chiffres de l’INSEE sont sans équivoque : la France vieillit à grands pas. Au-delà du constat, c’est toute une société qui doit se réinventer. Logement, hébergement, prise en charge médicale et sociale… Ces secteurs peuvent-ils opérer les transformations majeures qu’impose ce nouveau profil de seniors ? Quels en sont les moyens, les freins, les opportunités ? Décryptage avec Charles Memoune.
Répondre aux enjeux du vieillissement : un parcours, une conviction
Diplômé de Paris-Dauphine et ingénieur des Ponts et Chaussées, Charles Memoune débute sa carrière chez Ernst & Young, où il accompagne et conseille les grands acteurs du secteur médico-social : hôpitaux, cliniques, laboratoires, assureurs santé et pouvoirs publics.
C’est en prenant la direction générale d’un groupe privé d’Ehpad qu’il se spécialise dans l’univers des seniors. En 2018, il crée son propre réseau Bridge, une nouvelle génération d’EHPAD, comprenant également quelques résidences seniors, qui, en quelques années à peine, parvient à figurer parmi les 15 premiers groupes du secteur: « Mon objectif était de proposer des lieux de vie centrés sur le bien-être des résidents et des équipes, avec une prise en charge personnalisée et un modèle de gestion centré sur l’établissement et donc plus opérationnel », explique-t-il. Un positionnement qui l’amène aujourd’hui à explorer de nouvelles pistes, notamment les formes émergentes d’habitat, afin de répondre au mieux aux besoins d’autonomie et d’intégration des séniors d’aujourd’hui.
Un engagement de longue date pour le « bien vieillir »
Depuis près de 15 ans, Charles Memoune défend une vision du bien vieillir fondée sur la connaissance des personnes et l’accompagnement dans leur quotidien. Il travaille actuellement sur un programme inédit permettant aux séniors de mieux se préparer à cette « troisième vie », avec des ateliers autour de la nutrition, de l’usage des outils technologiques, y compris les réseaux sociaux, mais aussi des sujets trop longtemps considérés comme tabous, comme la sexualité.
Un engagement qui place la dignité, l’autonomie et l’épanouissement au cœur du parcours de vie, au sein d’une démarche qui participe à la lutte contre l’âgisme.
Repenser le logement seniors : défis et opportunités
Le vieillissement de la population impose une refonte des modèles traditionnels. Les seniors d’aujourd’hui sont plus autonomes, plus actifs et plus exigeants que les générations précédentes. Ils vivent aussi de plus en plus isolés. Cette évolution soulève plusieurs interrogations : Comment adapter l’aménagement des territoires ? Comment concilier qualité de service et contraintes économiques face à l’augmentation du nombre de personnes âgées ?
Pour Charles Memoune, plusieurs leviers doivent être activés : transformer les établissements en véritables lieux de vie plutôt qu’en simples structures de soins, personnaliser l’accompagnement, intégrer les nouvelles technologies au service du bien-être et élargir l’offre d’habitat seniors à certaines régions qui demeurent sous-représentées, comme le milieu rural notamment. En effet, le secteur, selon lui, ne peut plus ignorer ce changement sociétal profond impliquant une diversification de l’offre pour répondre à des besoins de plus en plus variés.
Il souligne également l’importance cruciale d’un accompagnement personnalisé : « Nous n’inventons pas de nouveaux outils, nous aidons à les rendre accessibles, compréhensibles et utiles pour chacun, parce que nous connaissons les personnes et leurs besoins ».
Reste à savoir si les moyens financiers et humains suivront. Car si les ambitions sont claires, leur mise en œuvre se heurte parfois à certaines réalités : pénurie de personnel soignant, coûts d’investissement élevés, disparités territoriales.
L’innovation technologique, un levier à maîtriser
Pour Charles Memoune, les nouvelles technologies ne doivent pas remplacer l’humain, mais sont essentielles pour l’accompagner et le soutenir. Au sein des établissements du réseau Bridge, sous sa présidence, cela s’est traduit notamment par l’intégration d’outils connectés et d’animations digitales.
C’est ce dont témoigne Leslie Delgres, coordinatrice animation et vie sociale à la résidence Saint Clair (Var) : « Ces outils nous permettent de proposer un quotidien plus varié aux résidents et de mettre l’innovation au service de leur bien-être. »
Charles Memoune rappelle que la technologie n’a de sens que si elle est comprise, expliquée et adoptée au rythme de chacun, et jamais imposée.
Si l’innovation séduit, elle soulève aussi des questions : quel est son coût réel? Est-elle accessible à tous les établissements ? Et surtout, répond-elle aux attentes des seniors, parfois peu familiers avec le numérique ? Des interrogations qui traversent tout le secteur et auxquelles il est nécessaire de répondre dans la pratique
Au-delà de Bridge : le pari de l’habitat accompagné, partagé et inséré (API)
Charles Memoune ne s’arrête pas là. Fort du constat d’un profil seniors en mutation et désireux de répondre au mieux à ces nouveaux besoins, M. Memoune se lance désormais dans un nouveau projet d’habitat partagé et inséré. Cette formule, à mi-chemin entre le domicile et la résidence seniors, gagne du terrain sur le marché français.
L’habitat partagé repose sur un principe simple : permettre aux seniors de conserver leur autonomie tout en évitant l’isolement. Chacun dispose de son propre espace privatif au sein d’un logement, mais partage des espaces communs et bénéficie d’une présence rassurante. La dimension d’insertion est aussi essentielle et représente une priorité pour Charles Memoune. Cette forme d’habitat innovant pour seniors a en effet pour vocation de permettre aux habitants d’être insérés dans la vie locale.
« C’est la réponse au désir de nombreux seniors de préserver leurs habitudes de vie sans se retrouver seuls, tout en assurant un vrai modèle de prévention au service de leur santé » explique Charles Memoune.
En mêlant nouvelles technologies et redéfinition du vivre ensemble, M. Memoune ouvre de nouvelles opportunités aux seniors à travers un projet d’habitat partagé et inséré qui lui ressemble : ambitieux, moderne et chaleureux.
Face au vieillissement accéléré de la population, le logement pour seniors s’impose comme l’un des grands défis sociaux et économiques des prochaines décennies. Entre exigences d’autonomie, besoin de lien social et impératifs budgétaires, le modèle d’hébergement doit se réinventer.
À travers son parcours et ses initiatives, Charles Memoune incarne cette volonté d’allier innovation, éthique et humanité dans la prise en charge du grand âge. Du réseau Bridge à ses nouveaux projets d’habitat partagé, il défend une conviction forte : celle d’un accompagnement centré sur la personne, respectueux de ses choix et de son rythme de vie.
Loin des modèles figés, cette vision ouvre la voie à une nouvelle génération de solutions d’hébergement, plus souples, plus inclusives et plus connectées, un enjeu majeur pour bâtir la société de demain et s’adapter aux besoins de ses aînés.
Source : Interview de Charles Memoune pour Booking Seniors
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