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Refus du traitement leqembi en France : la Fondation Vaincre Alzheimer alerte sur une perte de chance pour les patients

Après l’élan d’espoir suscité par l’immunothérapie dans la lutte contre la maladie d’Alzheimer, cette découverte majeure se heurte aujourd’hui à certains obstacles en France. La Haute Autorité de Santé (HAS) a en effet refusé d’accorder un accès précoce au lecanemab, le nouveau traitement développé par le laboratoire Eisai, et ce, malgré des résultats encourageants. Ce refus provoque incompréhension et déception au sein de la communauté scientifique. Pourquoi cette décision ? Quels en sont les enjeux pour la recherche et pour les patients ? Le Dr Marion Lévy, directrice scientifique de la Fondation Vaincre Alzheimer, nous éclaire.

Après avoir rappelé qu’il n’existe à ce jour aucun traitement curatif de la maladie d’Alzheimer mais uniquement des traitements qui agissent sur les symptômes cliniques de cette pathologie neurocognitive grave, le Dr Marion Lévy explique en quoi le leqembi ou d’autres traitements issus de l’immunothérapie marque une véritable avancée pour les malades d’Alzheimer : “Les traitements évalués ciblent directement l’un des marqueurs de la maladie, les dépôts amyloïdes, en les éliminant. C’est la première fois que de tels résultats sont obtenus, d’où notre surprise que cette innovation n’ait pas été reconnue comme telle.”

On comprend mieux l’importance de l’autorisation précoce demandée pour le lecanemab et l’enjeu du refus de la HAS, annoncé le 4 septembre dernier. 

En quoi l’immunothérapie révolutionne-t-elle la recherche contre Alzheimer?

 Le leqembi est une immunothérapie anti-amyloïde administrée sous la forme d’une injection intraveineuse de l’anticorps monoclonal lecanemab. Ce traitement, comme le donanemab (kisunla), appartient à l’immunothérapie passive, c’est-à-dire qu’il utilise des anticorps préparés en laboratoire pour combattre la maladie. En pratique, on administre ces anticorps qui vont cibler les dépôts amyloïdes, l’une des caractéristiques cliniques principales d’Alzheimer, pour les éliminer. Ils représentent ainsi une nouvelle ère de traitements capables de combattre l’un des marqueurs de la maladie et de ralentir de manière significative le déclin cognitif. L’efficacité de ces traitements a été prouvée lors des essais cliniques aux stades précoces de la maladie. 

“Un malade au stade débutant en 2025 ne le sera peut-être plus fin 2026”

Pour comprendre l’enjeu de la décision de la HAS, il est important de revenir sur l’intérêt d’une demande d’autorisation précoce concernant le leqembi. Comme nous l’a expliqué le Dr Lévy, l’accès précoce dont il est question actuellement en France diffère de la procédure classique d’évaluation et d’autorisation qui, elle, est toujours en cours.

La demande d’accès précoce vise à rendre disponible un traitement lorsqu’il n’existe aucune option thérapeutique. “Elle permet aux malades d’y accéder sans considération immédiate de prix ou de remboursement”, précise la scientifique. Dans le cas d’Alzheimer, maladie progressive et neuroévolutive, une telle procédure accélérée permet aux patients de gagner du temps et de bénéficier d’un traitement innovant qui a particulièrement fait ses preuves lorsque le déclin cognitif n’est pas trop avancé. “Ces traitements ne pouvant être administrés qu’à des patients au stade débutant de la maladie, il nous a semblé cohérent qu’une telle demande ait été déposée : un malade au stade débutant en 2025 ne le sera peut-être plus fin 2026”. 

Crédit photo : Fondation Vaincre Alzheimer / Dr Marion Lévy, directrice scientifique de la Fondation

Le leqembi respectait toutes les conditions d’une autorisation précoce 

“Cette décision nous a surpris,” témoigne la directrice scientifique de la Fondation face au refus de la HAS. Elle explique en effet que l’accès précoce permet aux malades de bénéficier d’un médicament innovant et repose sur quatre critères qui, selon eux étaient pourtant respectés :

En respectant ces critères et au vu d’une efficacité accrue au début de la maladie, le leqembi représentait un candidat idéal pour une demande d’autorisation précoce, qui a été effectivement déposée par le laboratoire Eisai en juin 2025. Aux dires du Dr Lévy, cette autorisation était même très attendue des patients français :”En tant que Fondation reconnue d’utilité publique, nous avions contribué à la demande d’accès précoce en fournissant à la HAS un sondage réalisé auprès de malades et de leurs proches : 47 % se disaient prêts à recevoir le traitement et, en comptant les « peut-être », on atteignait 73 %, ce qui illustre nettement les attentes des malades vis-à-vis de ces nouveaux traitements”. 

Ces critères étant :

  • La maladie est grave, rare ou invalidante
  • Aucun traitement approprié n’existe
  • Le traitement ne peut être différé
  • Le médicament est innovant

Comment comprendre le refus de la HAS ?

Les réticences de la HAS sont essentiellement liées à certains risques d’effets secondaires que les traitements d’immunothérapie peuvent induire, principalement, des hémorragies cérébrales ou des œdèmes cérébraux, appelés “ARIA”, ainsi qu’au rapport bénéfices/risques jugé insuffisant.

 Pour la communauté scientifique, la décision de la HAS paraît cependant difficile à comprendre. Même si la Fondation Vaincre Alzheimer respecte cette décision et l’inquiétude légitime de la HAS liée aux effets secondaires possibles, le Dr Lévy précise que les neurologues se préparent depuis plusieurs mois pour administrer ce traitement tout en surveillant étroitement ses effets indésirables. Elle précise que cette décision paraît d’autant plus surprenante qu’une autorisation de mise sur le marché a déjà été obtenue pour ce traitement auprès de l’Agence européenne des médicaments, basée sur les mêmes données, et que d’autres pays européen comme l’Allemagne et l’Autriche ont accepté la mise en place du traitement sur leur territoire. 

Quels enjeux pour la recherche et quelles conséquences pour les patients en France ?

Pour le Dr Lévy, la décision de la HAS renvoie l’image d’une innovation qui ne serait pas reconnue comme telle :” Après plus de trente ans de recherches ciblant les dépôts amyloïdes, se voir refuser un traitement qui montre des résultats envoie un signal préoccupant envers la recherche. Or, les maladies complexes comme la maladie d’Alzheimer ne se guérissent pas en une étape. Il faudra probablement plusieurs molécules pour voir une amélioration des traitements. Refuser la première étape rendra plus difficile l’accès aux suivantes.” 

Elle met également en avant les conséquences directes de ce refus pour les patients : “Si le traitement n’est disponible que via la procédure de droit commun, déjà engagée, sa mise à disposition prendra plus d’un an. C’est une perte de chance pour les malades qui souhaitent en bénéficier maintenant et qui ne seront peut-être plus éligibles d’ici là”.

La neuroscientifique a surtout le sentiment que l’avis et la situation des patients n’ont pas été suffisamment pris en compte par la HAS et elle, comme ses pairs, espère vivement pour les malades que cette décision puisse changer dans un avenir proche. “Pour que la décision évolue, il serait important que la voix des patients soit mieux intégrée, que le traitement soit reconnu comme une première innovation et que l’on fasse confiance à la recherche. Les maladies complexes comme la maladie d’Alzheimer ne se guériront pas en une seule étape : accepter cette première étape est nécessaire pour permettre les suivantes.”

Ainsi, le refus d’accès précoce au lecanemab par la Haute Autorité de Santé suscite une onde de choc dans la communauté scientifique et parmi les patients touchés par la maladie d’Alzheimer. Alors que ce traitement innovant ouvre enfin une voie thérapeutique prometteuse en agissant directement sur l’un des marqueurs de la maladie, son indisponibilité en France soulève des interrogations profondes sur la reconnaissance de l’innovation, la gestion du risque et la place accordée aux patients et à leur avis.

En retardant l’accès à une molécule qui pourrait ralentir significativement le déclin cognitif, c’est une véritable perte de chance qui se profile pour de nombreux malades. La recherche, quant à elle, se heurte à un message décourageant : celui d’une frilosité réglementaire qui freine l’introduction de traitements pourtant validés à l’échelle européenne.

À l’heure où chaque mois compte pour les personnes au stade précoce de la maladie, cette décision illustre l’urgence de reconsidérer certains éléments mis pour l’instant de côté. Car, comme le rappelle le Dr Marion Lévy, aucun progrès majeur ne peut advenir sans franchir la première étape. Et refuser aujourd’hui, c’est risquer de compromettre demain.

Source : Interview du Dr Marion Lévy, directrice scientifique de la Fondation Vaincre Alzheimer (propos recueillis par l’équipe rédactionnelle de Booking Seniors).

Sophie B.

Rédactrice, journaliste presse et web passionnée de lettres et de belles lettres, Sophie dispose d’une grande expérience dans le domaine de la rédaction. A la recherche de la satisfaction des lecteurs, Sophie s’attache à la clarté du sens autant qu’à la beauté du verbe. Un diplôme de Sciences Politiques tout comme une formation d’enseignante lui permettent d’allier justesse, dynamisme et rigueur au service d’un contenu unique et recherché. Elle part sans cesse à la recherche de la réalité du terrain. Ses investigations auprès des publics concernés et les interviews qu’elle mène avec professionnalisme rendent son contenu vivant et instructif. Depuis plusieurs années, Sophie met sa plume et son expertise au service des seniors, afin d’approfondir de manière claire et rigoureuse les thématiques qui les touchent de près.

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