Une découverte majeure publiée dans la revue Nature Communications en novembre 2025 apporte un nouvel espoir dans la lutte contre les maladies neurodégénératives. Des chercheurs de l’Institut Paul Scherrer en Suisse ont élucidé comment la spermine, une molécule naturellement présente dans notre organisme, pourrait protéger le cerveau contre Alzheimer et Parkinson. Une avancée qui ouvre des perspectives thérapeutiques inédites.
Les maladies neurodégénératives touchent des millions de personnes dans le monde, et leur prévalence ne cesse d’augmenter avec l’allongement de l’espérance de vie. Si de nouveaux traitements d’immunothérapie comme le lecanemab et le donanemab ont récemment été autorisés en Europe et aux États-Unis pour cibler les dépôts amyloïdes dans la maladie d’Alzheimer, les experts s’accordent désormais sur la nécessité d’une approche combinée. Comme le souligne le Dre Maï Panchal, Directrice Générale et Scientifique de la Fondation Vaincre Alzheimer, de nombreux essais testent des approches associant immunothérapie, stimulation cognitive et hygiène de vie pour renforcer les bénéfices cliniques et s’adapter à la complexité de la maladie. La spermine, cette petite molécule que notre corps produit naturellement, pourrait s’inscrire dans cette stratégie thérapeutique globale et ouvrir une nouvelle voie complémentaire.
Un mécanisme d’action novateur contre les protéines toxiques
Les chercheurs de l’Institut Paul Scherrer, dirigés par Jinghui Luo, ont mis en lumière un mécanisme d’action particulièrement prometteur de la spermine. Dans les maladies d’Alzheimer et de Parkinson, des protéines mal repliées, appelées protéines amyloïdes, s’accumulent dans le cerveau sous forme de fibres. Ces structures toxiques endommagent progressivement les neurones et sont à l’origine des symptômes de ces maladies neurodégénératives.
La spermine agit comme un agent d’agrégation en facilitant le regroupement de ces protéines dangereuses sous forme de condensats. Cette agrégation contrôlée permet leur reconnaissance et leur élimination par le système d’autophagie cellulaire, le mécanisme naturel de nettoyage des cellules. Selon Jinghui Luo, l’autophagie est plus efficace pour gérer les agrégats de protéines que les fibres dispersées. La spermine crée des forces électriques faiblement attractives entre les molécules, qui les organisent sans les lier fermement ensemble, maintenant ainsi ces agrégats dans un état propice à leur élimination.
Une molécule essentielle découverte il y a plus de 150 ans
La spermine appartient à la famille des polyamines, de petites molécules organiques essentielles au fonctionnement de l’organisme. Découverte il y a plus de 150 ans, elle tire son nom du liquide séminal où elle est présente en concentrations particulièrement élevées.
Dans nos cellules, la spermine remplit de multiples fonctions vitales. Elle interagit avec les acides nucléiques du génome, régulant l’expression des gènes et leur conversion en protéines. Elle assure ainsi que les cellules peuvent correctement croître, se diviser et, le moment venu, mourir selon un processus programmé. La spermine joue également un rôle central dans la condensation biomoléculaire, un processus cellulaire où certaines macromolécules se séparent et se rassemblent dans la cellule sous forme de gouttelettes pour permettre des réactions biochimiques importantes.
Des indices suggéraient déjà que la spermine pouvait protéger les cellules nerveuses et atténuer la perte de mémoire liée à l’âge. Mais jusqu’à présent, il manquait une compréhension précise de la manière dont elle intervenait dans les processus neurodégénératifs. Cette nouvelle étude publiée dans Nature Communications comble en grande partie cette lacune en apportant des preuves expérimentales solides de son mécanisme d’action.
Des résultats probants sur des vers
L’équipe de recherche a utilisé de petits vers nématodes, C. elegans, comme organisme modèle pour démontrer les effets bénéfiques de la spermine. Ces vers, largement utilisés en recherche biomédicale, permettent d’étudier rapidement les mécanismes cellulaires complexes car ils partagent de nombreux gènes et processus biologiques avec l’être humain. Les résultats obtenus sont particulièrement encourageants.
La spermine s’est révélée capable d’allonger la durée de vie de ces organismes, d’améliorer leur mobilité au cours du vieillissement, et de renforcer leurs mitochondries, ces centrales énergétiques des cellules dont le dysfonctionnement est impliqué dans de nombreuses pathologies liées à l’âge. Plus spécifiquement, les chercheurs ont observé comment la spermine aide le système immunitaire de l’organisme à éliminer les accumulations toxiques de protéines amyloïdes.
Dans les modèles de la maladie de Parkinson, où les vers exprimaient l’alpha-synucléine (la protéine qui s’accumule anormalement dans cette maladie), la spermine a permis d’améliorer significativement les symptômes. Elle a réduit la production de radicaux libres toxiques, diminué les concentrations de calcium dans les cellules, et restauré le fonctionnement des mitochondries. Des effets similaires ont été observés dans les modèles de la maladie d’Alzheimer exprimant la protéine Tau.
Un mode d’action au niveau moléculaire élucidé
Les chercheurs ont utilisé des techniques d’imagerie de pointe pour observer précisément comment la spermine agit au niveau des molécules. Ces analyses leur ont permis de suivre pas à pas la façon dont la spermine modifie la structure des protéines toxiques, depuis les plus petits changements invisibles à l’œil nu jusqu’aux agrégats visibles au microscope.
La spermine agit comme un agent de condensation qui orchestre le regroupement des protéines toxiques dans les cellules vivantes. Un aspect crucial de son action est qu’elle maintient ces condensats dans un état liquide pendant une période prolongée. Cette propriété est fondamentale car les condensats liquides peuvent être reconnus et éliminés par autophagie, alors que les fibres solides et rigides résistent à ce processus de nettoyage cellulaire.
Plus précisément, la spermine aide à détruire les protéines toxiques en facilitant le travail des autophagosomes, sortes de « sacs poubelles » microscopiques que les cellules utilisent pour capturer et éliminer leurs déchets. Les chercheurs ont observé que la spermine rend les amas de protéines toxiques plus faciles à attraper par ces systèmes de nettoyage cellulaire, accélérant ainsi leur élimination.
Des effets différenciés sur les protéines Tau et alpha-synucléine
L’étude révèle que la spermine module différemment les deux protéines clés des maladies neurodégénératives : la protéine Tau associée à la maladie d’Alzheimer et l’alpha-synucléine liée à la maladie de Parkinson. Cette modulation distincte permet d’expliquer leurs comportements de condensation différents, tant dans les éprouvettes qu’au sein des organismes vivants.
Dans le cas de l’alpha-synucléine, la spermine réduit la formation de condensats et augmente leur mobilité, facilitant ainsi leur élimination par les mécanismes cellulaires. Pour la protéine Tau, le mécanisme est légèrement différent mais aboutit également à une meilleure dégradation des agrégats toxiques. Cette capacité à agir sur les deux principales protéines impliquées dans les maladies neurodégénératives fait de la spermine une molécule particulièrement prometteuse pour le développement de futures thérapies.
Un lien avec le microbiote intestinal
Cette découverte sur la spermine fait échos avec d’autres avancées récentes dans la compréhension des maladies neurodégénératives, notamment le rôle du microbiote intestinal dans les maladies neurodégénératives comme Parkinson. En effet, nous voyons à quel point l’axe intestin-cerveau joue un rôle crucial dans ces pathologies.
La spermine est présente en concentrations importantes dans le système digestif, où elle est produite en partie par les bactéries intestinales. Des études ont montré que certaines bactéries du microbiote produisent des polyamines, dont la spermine, qui peuvent influencer la santé cérébrale. Un microbiote déséquilibré pourrait ainsi contribuer à une production insuffisante de spermine, privant le cerveau de cette molécule protectrice.
Des pistes thérapeutiques multiples à explorer
Cette découverte ouvre plusieurs voies thérapeutiques prometteuses qui méritent d’être explorées dans les années à venir. La première consisterait à supplémenter directement en spermine ou en précurseurs de polyamines. Des études préliminaires sur la spermidine, une molécule apparentée, ont déjà montré des résultats encourageants chez l’humain.
Une étude publiée en 2024 dans la revue European Journal of Pharmacology a mis en évidence le rôle de la spermidine comme régulateur épigénétique de l’autophagie dans les troubles neurodégénératifs. La spermidine, naturellement présente dans divers aliments d’origine végétale et animale, peut induire l’autophagie et s’avère diminuée dans plusieurs maladies neurodégénératives. Elle agit sur des enzymes épigénétiques qui modulent l’autophagie, offrant ainsi un levier d’action supplémentaire sur les mécanismes de nettoyage cellulaire.
Une autre approche consisterait à favoriser la production naturelle de spermine par l’organisme, notamment en optimisant la santé du microbiote intestinal. L’alimentation et les facteurs de mode de vie jouent un rôle crucial dans la composition et le fonctionnement du microbiote, et pourraient ainsi influencer indirectement les niveaux de spermine disponibles pour le cerveau. La spermine et les autres polyamines sont présentes dans de nombreux aliments. On les trouve en quantités significatives dans le germe de blé, le soja fermenté, les champignons, les fromages affinés, ou encore certaines légumineuses. Une alimentation riche en ces composés pourrait potentiellement exercer un effet protecteur sur le cerveau vieillissant.
L’intelligence artificielle au service de la recherche
Pour accélérer la découverte de nouvelles thérapies basées sur les polyamines, l’équipe de recherche utilise également l’intelligence artificielle. Cette technologie permet de calculer beaucoup plus rapidement des combinaisons prometteuses de molécules sur la base de toutes les données disponibles dans la littérature scientifique.
L’intelligence artificielle peut analyser des millions de combinaisons possibles de molécules et prédire leurs effets sur les protéines toxiques en simulant leurs interactions au niveau moléculaire. Cette approche, combinée aux expériences en laboratoire, pourrait considérablement raccourcir le temps nécessaire pour développer de nouveaux traitements et identifier les candidats médicaments les plus prometteurs avant même de les tester en laboratoire.
Des recherches encore nécessaires avant une application clinique
Malgré ces résultats prometteurs, il est important de souligner que cette recherche en est encore à un stade précoce. Les expériences ont été menées sur des vers nématodes, et des études supplémentaires seront nécessaires pour confirmer ces effets chez les mammifères, puis éventuellement chez l’humain.
Les essais cliniques devront évaluer plusieurs aspects critiques avant qu’un traitement basé sur la spermine puisse être envisagé : la dose optimale de spermine ou de ses précurseurs, les voies d’administration les plus efficaces (orale, intraveineuse, ou autre), les éventuels effets secondaires à court et long terme, et surtout, la capacité de la molécule à traverser la barrière hémato-encéphalique pour atteindre le cerveau en quantités suffisantes.
Des questions restent également en suspens concernant le moment optimal d’intervention. La spermine serait-elle plus efficace en prévention, administrée avant l’apparition des symptômes, ou pourrait-elle également ralentir la progression de maladies déjà déclarées ? Les recherches futures devront répondre à ces interrogations cruciales pour déterminer la place que pourrait occuper la spermine dans l’arsenal thérapeutique contre les maladies neurodégénératives.
Source : « Spermine modulation of Alzheimer’s Tau and Parkinson’s α-synuclein: implications for biomolecular condensation and neurodegeneration », Nature Communications, 21 novembre 2025.





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