Selon la Drees, environ un quart des personnes âgées éligibles à l’APA ne sollicitent pas la prestation pour des raisons diverses. Et ce n’est de loin pas le seul exemple de non-recours chez cette tranche de la population. Un récent rapport publié par l’Observatoire des non-recours et services met en lumière un phénomène important de non-recours aux droits sociaux chez les personnes âgées, une réalité sous-évaluée et peu connue du grand public. Comment améliorer l’accès aux droits des personnes âgées ?
Qu’est-ce que le non-recours aux droits des personnes âgées ?
Dans un contexte de vieillissement de la population, le phénomène de non-recours aux droits sociaux chez les personnes âgées prend une nouvelle dimension. Le constat est clair : de nombreuses personnes âgées ne bénéficient pas des aides et prestations auxquelles elles pourraient prétendre. Selon la Drees, environ un quart des personnes éligibles à l’Allocation personnalisée d’autonomie (APA) ne la demandent pas, pour des raisons variées comme la complexité des démarches administratives, une méconnaissance des dispositifs ou certains choix personnels. Et l’APA est loin d’être le seul exemple. Aide sociale à l’hébergement (ASH), aides techniques, soutien à domicile, les dispositifs sont nombreux, mais leur accès reste souvent semé d’embûches pour les personnes âgées.
Un récent rapport publié par l’Observatoire des non-recours aux droits et services (ODENORE) met en lumière cette réalité encore trop peu médiatisée. Il souligne l’urgence de repenser les politiques d’accès aux droits pour les seniors, dans un contexte de vieillissement accéléré de la population et de transformation numérique des services publics.
Le non recours est défini de manière suivant dans le document :”s’agissant du non-recours, nous le définissons comme le fait que des personnes ne reçoivent pas, totalement ou partiellement, des droits, des services et/ou des offres extra-légales, de nature financière ou non, auxquels elles pourraient prétendre.” Cette définition élargit ainsi le non-recours au fait de ne pas recevoir ou percevoir leurs droits et non uniquement à celui de ne pas demander ou de ne pas utiliser les aides.
Ce phénomène de non-recours touche une part importante des personnes âgées, souvent isolées, fragiles ou confrontées à des démarches administratives complexes qui demandent pour la plupart une certaine connaissance des outils numériques.
Des droits méconnus par de nombreuses personnes âgées
Tout d’abord, le rapport de l’Observatoire démontre que le non-recours des personnes âgées est bel est bien un phénomène structurel et non ponctuel, lié à une combinaison de facteurs : méconnaissance des dispositifs, complexité administrative, crainte du regard social, perception de l’inutilité des démarches, ou encore résignation face à la lenteur institutionnelle. Les seniors, parfois accompagnés par leurs proches, renoncent ainsi à des aides auxquelles ils ont pourtant droit.
Par ailleurs, le non-recours prend différentes formes : non-connaissance lorsque l’offre n’est pas connue, non-proposition, lorsque l’offre n’est pas
proposée par un professionnel malgré l’éligibilité du demandeur, non-réception, lorsque l’offre est connue et demandée mais non obtenue par la personne, ou encore non-demande, lorsque l’offre est connue mais non demandée par la personne, ou bien lorsqu’un droit est ouvert mais que la prestation n’est pas utilisée.
Les auteurs insistent sur la spécificité de ce public : contrairement à d’autres populations précaires, les personnes âgées sont rarement ciblées par les campagnes de lutte contre le non-recours. Elles restent invisibles dans les politiques d’accès aux droits.
L’âge et la culture, des freins au recours des personnes âgées
Les protagonistes de l’enquête mettent également en évidence les difficultés liées à l’âge comme facteur aggravant de non-recours : “Ce qui s’exprime alors fréquemment est une certaine « fatigue de vivre », une lassitude et un renoncement face à ces difficultés nouvelles qui surviennent en raison de l’avancée en âge”.
A cela, s’ajoutent plusieurs dimensions culturelles au non-recours qui poussent certaines personnes âgées à ne pas recourir à des droits et services parce que cela peut être perçu comme une certaine remise en question des habitudes de vie, surtout dans le cas de services à domicile. Dans certains milieux plus aisés les personnes âgées peuvent être amenées à renoncer à leurs droits par la “conviction de ne pas être éligibles à l’APA du fait de leur niveau de ressources”, ou parce qu’elles considères ces aides “faites pour d’autres ou dont d’autres ont davantage besoin”. Leur réticence peut aussi provenir “de leur habitude de s’organiser par elles-mêmes ou d’une représentation des administrations, de l’État et des pouvoirs publics qui peut être assez péjorative, les conduisant à ne pas imaginer y avoir recours”.
Des formes différentes de non-recours et des causes multiples
Les données recueillies permettent de cerner la diversité des situations. L’APA, l’une des aides principales de l’Etat pour couvrir les frais relatifs à la perte d’autonomie des personnes âgées, reste sous-utilisée : certaines personnes âgées considèrent qu’elles n’en ont pas besoin, d’autres craignent l’intrusion d’un contrôle social, ou encore jugent les montants dérisoires.
L’aide sociale à l’hébergement (ASH), qui permet de financer une place en Ehpad, est souvent évitée car perçue comme stigmatisante ou trop complexe. Les aides techniques, elles aussi, sont souvent négligées faute d’accompagnement. Le rôle des aidants familiaux est ambivalent : s’ils facilitent les démarches, ils peuvent aussi exprimer une forme de méfiance envers les institutions ou préférer assumer seuls la charge. Certains renoncements sont aussi liés à une culture de la discrétion, au sentiment de ne pas vouloir « abuser » du système.
Le rapport synthétise plusieurs formes de non-recours pour les aides essentielles comme l’APA, les aides aux personnes en situation de fragilité, les aides à domicile et celles pour l’adaptation du logement.
On retient globalement les formes suivantes de non-recours avec des spécificités pour chaque type d’aide et de droits :
- non-recours par non-connaissance de la prestation ou connaissance insuffisante des conditions d’éligibilité et/ou des acteurs vers lesquels se tourner pour engager une demande.
- non-demande primaire : volonté de continuer à faire par soi-même et/ou de ne pas faire venir à domicile des intervenants extérieurs/professionnels, que cela soit le souhait des personnes et/ou de leur entourage familial.
- non-demande secondaire : cas des personnes qui ont eu un premier refus et ne se sentent pas légitimes à redemander, même lorsque leur état de santé ou leurs difficultés quotidiennes ont évolué.
- non-proposition par les professionnels : difficultés des professionnels à repérer les besoins de la personne âgée ou de l’aidant.
- non-réception d’une partie ou de la totalité de l’offre : difficultés à mettre en place le dispositif, absence d’offre dans l’emplacement géographique souhaité, dans le cas par exemple de services d’aide à domicile.
Ainsi, le non-recours peut prendre différentes formes selon le type d’offres, les publics qui peuvent y prétendre et les configurations territoriales, familiales et sociales.
Une gestion territorialisée qui renforce les inégalités
La politique d’autonomie en France repose sur une gestion territorialisée, principalement reléguée aux conseils départementaux. Cette organisation entraîne une grande hétérogénéité dans l’accès aux aides, selon les ressources, les priorités et les moyens des collectivités. Ainsi, deux personnes âgées dans des départements différents peuvent expérimenter des conditions d’accès très différents pour une même prestation.
De plus, la répartition des compétences entre différents acteurs (mairies, départements, caisses de retraite, ARS, associations) complique les démarches pour les usagers. Beaucoup ne savent pas à qui s’adresser, ou abandonnent face à la complexité des parcours.
Le défi du numérique pour les personnes âgées
Les freins au recours des personnes âgées restent nombreux.
Le premier obstacle est l’accès au numérique. Dans un contexte où tout devient digital, l’administration en ligne, censée simplifier et faciliter les démarches, devient une barrière pour ceux qui ne maîtrisent pas internet ou qui n’ont pas de matériel adapté.
En effet, depuis plusieurs années, les politiques sociales ont fortement misé sur la dématérialisation des services. Cette logique, censée simplifier les démarches et réduire les coûts, s’avère en réalité contre-productive pour de nombreux seniors.
Selon le rapport de l’Observatoire, la fracture numérique est l’un des principaux facteurs de non-recours chez les personnes âgées. Difficultés d’accès à Internet, absence d’équipements, manque de compétences ou de soutien, les raisons sont multiples.
Malgré les programmes et formations proposées pour lutter contre l’illectronisme auprès du troisième âge, de nombreuses personnes âgées n’ont toujours pas accès aux outils numériques ou nécessitent l’aide d’un tiers pour réaliser leurs démarches en ligne.
Or, dans un contexte où les guichets physiques ferment, où les lignes téléphoniques sont saturées et où les formulaires en ligne deviennent la norme, beaucoup de personnes âgées renoncent à entamer des démarches. La numérisation est alors perçue non comme un progrès, mais comme un nouvel obstacle. Ce problème est d’autant plus critique que le vieillissement est souvent accompagné de pertes d’autonomie, de troubles cognitifs ou de solitude.
Un autre obstacle au recours des personnes âgées réside dans l’aspect organisationnel des organismes sollicités pour les aides : les services sont éclatés entre plusieurs institutions, avec peu de coordination, ce qui rend l’accès à l’information d’autant plus compliquée et décourage de nombreuses personnes âgées d’entamer ou de poursuivre les démarches.
Enfin, l’aspect psychologique et culturel joue également un rôle : honte, peur de déranger, déni de la perte d’autonomie, ou encore fatigue face à des processus longs et opaques. Le rapport donne la parole à des seniors, mais aussi à des professionnels de terrain qui dénoncent un système devenu trop complexe et trop distant des réalités vécues par les usagers âgés.
Pistes d’amélioration pour le non-recours aux droits des personnes âgées
Le rapport propose plusieurs pistes d’amélioration. Il recommande notamment de réintroduire davantage de présence humaine dans les démarches : visites à domicile, guichets polyvalents, référents sociaux.
Par ailleurs, il insiste sur la nécessité de former les professionnels à la détection du non-recours et d’informer les seniors de manière claire et personnalisée.
Une meilleure coordination entre les acteurs institutionnels est aussi souhaitée, de même que la simplification des procédures.
Dans un tel contexte, le gouvernement a entamé plusieurs initiatives comme le lancement en 2024 du Service public départemental de l’autonomie (SPDA), une forme de guichet unique visant à faciliter les démarches et les parcours des personnes âgées, des personnes en situation de handicap et de leurs aidants.
Plus largement, le rapport invite à repenser l’accès aux droits comme une politique publique à part entière, et non comme un simple aspect technique. Le vieillissement de la population oblige à concevoir des dispositifs plus inclusifs, qui tiennent compte des parcours de vie et des critères personnalisés.
Ainsi, le phénomène du non-recours aux droits sociaux chez les personnes âgées ne relève ni de l’exception, ni de la négligence individuelle. Il s’agit d’un dysfonctionnement structurel aux causes multiples : complexité administrative, fracture numérique, dispersion des acteurs, mais aussi représentations culturelles et sentiment d’indignité ou de résignation. Ces freins, souvent invisibles, privent chaque année des milliers de seniors d’aides précieuses qui pourraient améliorer leur quotidien, préserver leur autonomie, ou alléger la charge pesant sur leurs proches.
Dans un contexte de vieillissement accéléré de la population, ce non-recours massif constitue un enjeu de justice sociale majeur. Il ne suffit plus de créer des droits : encore faut-il les rendre accessibles, compréhensibles et utilisables. L’État, les collectivités, les professionnels de santé, du social et du secteur médico-social, mais aussi les aidants familiaux, doivent être mobilisés pour repérer, accompagner et soutenir les personnes âgées dans leurs démarches.
Les recommandations du rapport de l’Observatoire des non-recours rappellent l’urgence d’une politique publique ambitieuse, articulée autour de quatre axes : la présence humaine, la simplification des démarches, la formation des professionnels et la coordination des acteurs. Il ne s’agit pas uniquement d’optimiser l’efficience administrative, mais bien de garantir à chacun une vieillesse digne, en pleine possession de ses droits.
Ajouter un commentaire